18 juillet 2016
Rupture d'une poutre de pont en béton précontraint
Le 30 juin 2016, un essai de chargement à rupture d’un tronçon de poutre de pont en béton précontraint, renforcé à l’aide de matériaux composites collés, a été effectué au Département Laboratoire d’Autun du Cerema Centre Est.

Cet essai a été réalisé dans le cadre d’un projet partenarial entre le Cerema, l’Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) et l’ASFA (Association des Sociétés Françaises d’Autoroutes), afin de mieux comprendre le fonctionnement mécanique d’anciennes structures en béton précontraint endommagées, renforcées par cette méthode. Cet essai de chargement « à l’effort tranchant » d’une poutre de pont « en vraie grandeur », était a priori une première en France.

 

Des matériaux de renforcement de plus en plus utilisés dans le domaine du génie civil

Depuis une vingtaine d’années en France, l’utilisation des matériaux composites collés s’est développée dans le domaine du Génie Civil pour le renforcement de structures existantes, leur adaptation à l’évolution des besoins, à de nouvelles utilisations voire à de nouvelles réglementations (sismique par exemple).

Le domaine d’emploi de cette méthode de renforcement était initialement les structures en béton armé présentant un déficit de ferraillage. La version de février 2011 des Recommandations provisoires de l’AFGC (Association Française de Génie Civil) sur la « Réparation et le renforcement des structures en béton au moyen des matériaux composites » a abordé le cas du renforcement de structures en béton précontraint, lorsque l’ajout des matériaux composites vise à augmenter la quantité d’armatures « passives » (ie armatures de béton armé).

Cependant de nombreuses interrogations existent encore, notamment sur le fonctionnement d’une structure en béton précontraint endommagée renforcée après ouverture de fissures, sur le comportement des renforts collés au droit des fissures…

Il est ainsi important de mieux connaître le fonctionnement et l’efficacité des renforcements par matériaux composites collés, en l’occurrence des bandes de tissu et des lamelles pultrudées composés de fibres de carbone, de façon à pouvoir proposer de nouvelles règles pour leur conception et leur dimensionnement.

De nombreux ponts à poutres en béton précontraint par post-tension (VIPP) ont été construits en France avant 1970, notamment sur le réseau autoroutier. Beaucoup de ces ouvrages présentent un déficit de précontrainte en raison des insuffisances des règlements de calcul de l’époque de la construction et de la corrosion des câbles de précontrainte. Ces anciens ouvrages comportent généralement peu d’armatures de béton armé et peuvent se révéler vulnérables. En particulier, en raison de la faiblesse des aciers « passifs » verticaux dans les zones d’appui aux extrémités, il existe un risque de rupture « fragile » dit « à l’effort tranchant ».

Ainsi, cette famille de ponts est très difficile à gérer, en l’absence de moyen de diagnostic fiable permettant d’évaluer la précontrainte résiduelle de l’ouvrage et son évolution dans le temps.

Les essais de chargement à rupture du 30 juin 2016 à Autun entrent dans le cadre d’un projet de recherche visant à l’amélioration des techniques et matériels d’auscultation, des outils de modélisation et de calcul des VIPP, essentielle pour mener à bien une ré-évaluation pertinente de leurs performances, ainsi qu’à la meilleure connaissance du fonctionnement mécanique des structures en béton précontraint endommagées renforcées par matériaux composites collés.

La poutre testée est issue de la démolition en 2002 du VIPP de Clerval sur le Doubs (25).

De précédents essais de chargement à rupture « en flexion 3 points » avaient été réalisés en octobre 2014 sur la poutre complète d’une trentaine de mètres de longueur, renforcée par matériaux composites collés.

Les essais de chargement du 30 juin 2016 ont consisté à imposer à un tronçon de la poutre de VIPP une charge croissante appliquée à 1,50 m d’un de ses appuis d’extrémité, jusqu’à la rupture dite « à l’effort tranchant ».

 

Une batterie d’analyses

Plus de 160 capteurs ont été posés sur le tronçon de poutre d’une douzaine de mètres de longueur. Ces capteurs étaient de différents types :

  • vérin plat étalonné pour le suivi de l’effort de chargement, capteurs de déplacement pour mesurer la course des vérins, la flèche du tronçon de poutre, les mouvements (ouverture, glissement) au droit des fissures après leur apparition,
  • inclinomètres pour mesurer les rotations sur appuis du tronçon de poutre,
  • jauges de déformation sur les divers matériaux (béton, fils de certains câbles de précontrainte, renforts composites collés) et rosettes pour la détermination des contraintes et directions principales,
  • fibre optique pour mesurer les déformations du béton et des renforts composites collés ainsi que pour détecter la fissuration,
  • mesures de température (permettant la correction thermique des autres mesures),
  • analyse d’images corrélation 2D et photogrammétrie 3D pour le suivi des déplacements,
  • capteurs piézoélectriques (émission acoustique) pour la détection de la fissuration,
  • accéléromètres (surveillance acoustique) pour la détection des ruptures de fils des câbles de précontrainte…

Note : Il est également prévu de procéder à l’autopsie des câbles de précontrainte intérieure au béton après la rupture du tronçon de poutre, notamment pour valider les informations délivrées par la surveillance acoustique.

Tout au long des essais de chargement, réalisés par paliers de 100 KN (10 tonnes), le suivi principal des différents points de mesure raccordés à 21 centrales d’acquisition connectées en wifi, a été réalisé au moyen du logiciel de supervision SYSADYP développé par le Cerema Méditerranée, avec une fréquence d’acquisition maximale de 50 Hz (le logiciel permettant des acquisitions jusqu’à 100 Hz), ce qui représente une prouesse technique ! Un poste de contrôle a été installé dans une salle de supervision à proximité de la plateforme de chargement de la poutre. Cette installation avait pour fonction de centraliser l’ensemble des données recueillies, de coordonner les différents acteurs, d’obtenir et de projeter des informations sur « l’état de santé » de la poutre en temps réel.

 

Quelques premiers résultats marquants

Dès le palier de chargement de 110 tonnes, a pu être détectée à l’œil une fissuration du béton le long de certains câbles de précontrainte aux tracés relevés dans l’âme de la poutre, situés au-delà du point d’application de la charge et de la zone d’extrémité renforcée par les bandes verticales de tissu de fibres de carbone collé.

Par la suite, une fissuration du même type est également apparue le long du câble relevé « C19 », dont l’ancrage supérieur est quasiment situé sous le point d’application de la charge et dont le tracé intercepte les 4ième et 5ième bandes verticales de TFC (bandes comptées depuis l’appui chargé).

De même est apparue une fissuration « de traction » au niveau du talon de poutre, comme l’avaient prédit les calculs, d’abord au-delà de la zone d’extrémité renforcée par les bandes verticales de TFC, puis progressivement dans la zone des renforts. Cette fissuration verticale inférieure a rejoint la fissuration inclinée apparue sur l’âme de la poutre dans l’environnement du câble relevé « C19 ».

Entre 160 et 170 tonnes de chargement, a eu lieu une première rupture par délamination au niveau des zones de recouvrement des lamelles composites des renforts de rive collés sous le talon de la poutre. Par la suite, a eu lieu le délaminage du paquet de lamelles central sous le talon de poutre.

D’après les résultats des calculs et modélisations prédictifs, en fonction des hypothèses prises, le tronçon de poutre devait céder pour une force comprise entre 160 et 300 tonnes et c’est finalement pour une charge maximale d’environ 197 tonnes qu’il s’est rompu.

Le mode de rupture correspond bien à une rupture « à l’effort tranchant » de la zone d’about et à celui que les calculs avaient prédit : fracture inclinée dans le sens des bielles de compression de béton, située au-delà du point d’application de la charge, reliant le talon de poutre à la table supérieure de compression au droit du point d’application de la charge. Seul le sens d’inclinaison de cette fracture est un peu surprenant, l’équilibre de la bielle d’about conduisant théoriquement à une fracture orientée vers l’appui le plus proche.

Les analyses ultérieures auront, entre autres, l’objectif d’évaluer le rôle joué par les renforts composites collés, et l’influence des câbles de précontrainte relevés traversant l’âme de la poutre dans cette zone.

Notes :

  • De toute évidence, la présence de câbles de précontrainte internes au béton relevés en travée, a fortiori dans des zones de faible épaisseur de l’âme de la poutre (transition entre l’épaisseur sur appui de 30 cm et l’épaisseur en section courante de 14 cm dans le cas d’espèce), constitue un affaiblissement significatif vis-à-vis de ce type de sollicitations ;
  • La rupture observée a été de type « ductile », contrairement au préjugé généralement admis d’une rupture « fragile » au cisaillement pour ce type de poutre.

L’équipe projet procédera à l’exploitation et à l’interprétation des très nombreuses données acquises d’ici la fin de l’année. Des communications scientifiques sont prévues à partir de 2017. Des modifications dans les méthodes d’évaluation et de justification de ces structures pourraient éventuellement en découler…

Rédacteurs : C. Roche Cerema DCDC
C. Aubagnac, D. Germain, A. Houel Cerema Centre Est
JP. Maherault Cerema Méditerranée