8 février 2024
Les citoyens, accélérateurs de l'adaptation au changement climatique ?
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Canicules, sécheresses, tempêtes, érosion côtière : les effets du changement climatique sont déjà visibles en Région Sud et affectent la vie des citoyens. Cette 6ème journée annuelle dédiée aux enjeux d’adaptation au changement climatique s’est articulée autour de deux questions : comment et pourquoi embarquer les citoyens dans l’action publique sur le changement climatique ?

Impliquer, concerter, coconstruire… l’objectif de la journée du 23 novembre 2023 était de balayer diverses approches de la mobilisation citoyenne. Différentes méthodes, outils et retours d’expérience régionaux ont été partagés, sous la forme de deux tables-rondes, de deux témoignages scientifiques et 10 ateliers pratiques.
Le sujet a suscité l’engouement et la journée a affiché complet avec environ 150 personnes présentes.

 

 

Grand témoignage

Maxence Moreteau sociologue-urbaniste, ingénieur en environnement à l‘Adéus, Agence d‘études urbaines et sociales 

À travers ses expériences de terrain en aménagement urbain, Maxence Moreteau interroge : et si les citoyens étaient déjà mobilisés ?

L’aménagement urbain sollicite de plus en plus les citoyens pour les impliquer dans la réflexion, pour exprimer les usages, pour recueillir les souhaits par rapport à leur ville ou leur quartier. Ainsi, à La Ciotat, dans un projet de végétalisation et d’embellissement de la vieille ville, l’intelligence collective a été mobilisée. Sous la forme de bureaux de rue, la discussion était engagée avec les passants grâce à l’outil du photolangage. Les habitants pouvaient proposer une image parmi une vaste sélection et expliquer les raisons de leur choix, ce qui leur plaisait (ou pas), les fonctions, la projection vers un futur souhaité… Sur les 300 personnes participantes, le consensus était total pour une plus grande végétalisation et une désimperméabilisation, avec un vrai discours sur l’adaptation et l’atténuation. Ce qui aurait pu passer pour un débat d’experts était en fait complètement approprié par les citoyens.


Le constat selon lequel les citoyens ne freinent pas la transition écologique se retrouve également en milieu rural (exemple d’une réflexion sur le développement photovoltaïque dans les Alpes de Haute-Provence) ou en milieu plus défavorisé (exemple d’une démarche éco-quartier dans un quartier prioritaire de la politique de la ville à Miramas).
Ainsi, à la question, la préoccupation environnementale et climatique était-elle socialement située ? Ces expériences répondent par la négative, et confirment l’adage « fin du monde
et fin de mois, même combat. »


Ainsi, les citoyens sont d’une certaine façon déjà mobilisés et la question est plutôt de savoir comment les impliquer dans la prise de décision et la conduite des actions.


On peut retenir les fondamentaux suivants :

  • co-construire le constat et le diagnostic ensemble, 
  • programmer des transformations, engager dans une démarche de prospective pour ne pas s’enfermer dans une
    forme d’éco-anxiété, 
  • partager les prises de décisions et créer les conditions d’un dialogue entre citoyens, scientifiques et politiques, en recherchant la cohérence entre discours et action publique,
  • accompagner les transformations en acceptant de prendre le temps et c’est le paradoxe de la temporalité où l’on navigue entre sentiment d’urgence et des processus qui doivent prendre leur temps.

En savoir + : https://adeus-reflex.org

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Initiatives inspirantes des territoires pour mobiliser les citoyens

Projet DECLIC Flore Liron – Centre permanent d'initiatives pour l'environnement (CPIE) Rhône Pays d’Arles.


Démarche expérimentale de co-construction pour limiter les impacts du changement climatique : un collectif pour créer une culture commune du
territoire face au changement climatique et travailler la résilience climatique avec les citoyens.
DECLIC est une démarche initiée par le CPIE Rhône Pays d’Arles. Elle prend la forme d’un collectif mobilisant de nombreux partenaires (collectivités, syndicats mixtes, structures de recherche…).
DECLIC leur a permis de travailler ensemble en transversalité. Les premières actions ont consisté à organiser, avec certaines structures partenaires, des
moments de rencontre avec les habitants, comme un atelier sur les enjeux de l’eau à l’occasion d’un événement festif très fréquenté. Les élus, les techniciens, les acteurs institutionnels ont aussi été ciblés avec des sorties de terrain et d’autres formats. Un cycle de conférences sur 3 ans a été la colonne vertébrale d’une première étape de sensibilisation pour faire un premier pas vers les citoyens. En 2023, deux projets opérationnels se sont montés à la suite de Déclic, mais de manière
autonome, le premier sur la désimperméabilisation de cours d’écoles sur le PETR du Pays d’Arles et le second sur la mise en place d’un collectif citoyen sur la gestion de la ressource en eau.


En savoir + : https://www.cpierpa.fr/declic/

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La fabrique participative du paysage vitrollais Pierre-Alan Jobic, chargé de missions « Missions Participatives Environnement » à la ville de Vitrolles 

Vers des plantations citoyennes, une feuille de route pour une végétalisation citoyenne


Dans le prolongement de la Charte de l’arbre, « Vers des plantations citoyennes » est une feuille de route établie en 2021 organisée autour de trois axes :

  • Savoir-faire : la commune accompagne et permet la montée en compétence des associations et des habitants pour les plantations.
  • Pouvoir faire : la commune identifie les espaces à investir pour la végétalisation et facilite les démarches du permis de végétaliser à travers la communication grand public, la facilitation par la compréhension des attentes de chacun (habitants, jardiniers…), la logistique (par exemple le lien avec la pépinière municipale), la mise à disposition du foncier et de l’eau, la valorisation des déchets verts, le prêt de matériel pour préparer le sol. C’est une fonction facilitatrice. 
  • Animer : l’objectif est de faire émerger un réseau citoyen à travers des rencontres et des évènements.
    Pour des projets de plus grande ampleur comme l’aménagement et le devenir d’un parc urbain, l’objectif est de mettre en place une concertation et une démarche de co-construction.


En savoir + : https://www.vitrolles13.fr/permisdevegetaliser/

 

Le labo participatif de l’Arc à Roquefavour 

Tiffany Garcia, anthropologue et créatrice de liens, à l’EPAGE Ménélik, Élise Trivelly, chargée de mission développement durable à la Ville d’Aix-en- Provence.
Restaurer la morphologie naturelle du cours d’eau en conciliant les usages et la valeur patrimoniale du site, c’est l’objectif du projet de concertation citoyenne, piloté par l’EPAGE Menelik en partenariat avec la ville d'Aix.


À Roquefavour, le petit fleuve côtier de l’Arc est barré par un seuil qui bloque à la fois la circulation des sédiments et le passage des espèces telles que les anguilles. Restaurer les
continuités écologiques est une obligation règlementaire (Directive Cadre sur l’eau). Il apparait alors nécessaire d’effacer ce barrage. Or, celui-ci est devenu une entité patrimoniale et un lieu
d’usages : baignade, pêche…
En amont de la concertation proprement dite, une étude socio-affective a été menée pour comprendre l’attachement particulier des habitants au lieu. C’est en effet l’originalité de l’EPAGE
Ménélik qui a recruté une anthropologue dans son équipe.

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Actuellement, des ateliers sont menés sur site avec notamment deux principes : 

  • la transparence : les citoyens sont impliqués mais n’ont pas le pouvoir de décision, 
  • le mélange des publics sous forme de groupes mixtes et anonymes. Il n’y a pas de présentation
    préalable pour tenter de dépasser les postures.

    Une vaste campagne de communication sur le web et par voie d’affichage est mise en place pour permettre une mobilisation large. Le premier atelier a pris la forme d’une balade sensible sur les lieux pour ressentir la musicalité du site, les odeurs, la température…
    Cette concertation aboutira à la présentation de plusieurs scénarios d’aménagement. Ces scénarios devront trouver un compromis entre rétablissement de la continuité écologique, maintien du patrimoine et respect des usages.
     

En savoir + : https://www.menelik-epage.fr/realisations/restauration-riviere-arc-roquefavour/#labo-participatif

 

Collectif citoyen ECCU Effets du Changement Climatique en Ubaye, Simon Brisard, membre d’ECCU

Un groupe citoyen pour faire le lien entre scientifiques, experts, grands témoins et les acteurs du territoire de la vallée de l’Ubaye sur les questions du changement climatique et des transitions 

 

Le groupe de citoyens bénévoles ECCU est né en 2018 autour d’une charte qui définit ses valeurs et oriente ses actions. Les actions comprennent des événements, comme des cafés des sciences, des expositions et une conférence ambitieuse CLIMALPSUD, dont 3 éditions ont été organisées.
L’organisation de ces événements est un des succès du groupe ECCU. Le fonctionnement du collectif révèle les points à ne pas négliger comme le respect de la diversité des profils, des attentes et des valeurs, la communication interne et externe, les multiples engagements des membres.
Le dialogue avec les élu.e.s du territoire reste difficile, malgré les différentes tentatives et l'indépendance du groupe qui a formulé plusieurs demandes comme la nomination de référent.e.s climat et transitions dans chaque commune.


En savoir + : https://seolane.org/groupe-eccu/

 

Afin de s’engager dans la démarche “Ville en transition” et élaboré un Agenda 2030 avec les habitants, l’équipe municipale a souhaité une démarche « bottom-up »

 

Dessine-moi Célony 


Perrine Meggiato, adjointe déléguée aux relations avec les habitants, Ville d’Aix-en-Provence Olympe Rieu, chargée de mission paysage et projet urbain, Agence d’urbanisme du pays d’Aix (AUPA) 

Impliquer les habitants par le dessin pour imaginer le futur d’un quartier d'Aix-en-Provence.

Célony est un quartier au Nord-Ouest d’Aix traversé par la départementale 7, ce qui en fait une porte d’entrée de la ville mais en impacte aussi fortement l’identité. Le dialogue ouvert avec les habitants et les associations a révélé une attente de vie de village, avec l’ensemble des fonctions de vie « à portée de main ». La réflexion s’est orientée autour de la notion de la ville du quart d’heure, où les déplacements sont limités et les centralités renforcées.
Après une campagne de communication destinée à impliquer un maximum de personnes, la démarche s’est déroulée selon les principes suivants :

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  • Accueillir, grâce à un atelier sous forme d’un photolangage (“ce que j’aime, ce que je n’aime pas, ce que j’aimerais”)
  • Présenter le projet tel qu’il a été proposé au maire, en présence des promoteurs, pour ouvrir la discussion 

 

  • Co-construire les scénarios en petits groupes mélangés. Chaque groupe dispose d’une « boîte à outils » composée d’étiquettes (bâtis, voies, pistes cyclables, équipements, espaces publics, stationnements, parkings) à placer sur une vue aérienne.
  • Restituer les réflexions de chaque groupe.
  • Synthétiser : identifier ce qui a fait consensus et les points restant à travailler.
  • Exposer : une exposition reprenant les plans, les
    propositions et des paroles d’habitants est envisagée.
    En savoir + : https://aixenprovence.fr/DESSINE-MOI-CELONY-Atelier-participatif-d-urbanism

    En savoir + : https://aixenprovence.fr/DESSINE-MOI-CELONY-Atelier-participatif-d-urbanisme

 

 

En résumé

Quelques conseils pratiques pour aider les collectivités à mobiliser les citoyens

  • Lors des ateliers de concertation ayant pour objectif le partage des expériences sensibles vécues sur un territoire, il est important de mélanger tous les acteurs de manière anonymisée (associations, collectivités, entreprises, services de l'état
  • Écouter réellement les citoyens. Si leurs demandes ne relèvent pas des champs de compétences de la collectivité, s'engager à porter leur voix auprès des bonnes
    instances
  • Créer ou réhabiliter des maisons communes pour faire venir les services publics au plus près des citoyens (comme à Avignon)
  • Rendre les ateliers de concertation festifs et artistiques (exemple d'une compagnie qui réalise des spectacles aquatiques sur le Rhône, pendant un évènement à Arles sur la
    ressource en eau !)
  • L'heure de sortie des écoles est très efficace pour mobiliser directement les citoyen
  • S'appuyer sur les centres sociaux et les centres aérés pour coanimer les dispositifs pour l'environnement et mobiliser les jeunes (l'éducation nationale n'est pas le seul
    interlocuteur possible)
  • Pour les financeurs : conditionner les aides à un dispositif de concertation !


Il y a :

  • des citoyens sensibilisés à l'environnement et impliqués. Le rôle de la collectivité est alors de structurer et démultiplier leur projet
  • des citoyens sensibilisés à l'environnement (qui souhaiteraient plus de nature en ville par exemple) mais qui n'ont pas le temps de s'investir et qui comptent sur nous pour le faire
  • enfin il y a aussi des réfractaires ou des climatosceptiques, mais peut-être ne faudrait-il pas exagérer leur nombre au risque de se décourager.
  • L'important est de continuer à animer des espaces de dialogue pour provoquer le passage à l'action 

Pas de recette miracle donc, si ce n'est de prendre du temps pour animer le dialogue territorial et faire (beaucoup) de communication pour informer les citoyens de ces possibilités d'échanges. Prendre ce temps n'est pas en perdre, cela permet d'embarquer les citoyens dans le projet politique, de poser les enjeux et projets sur une échelle temporelle, d'échanger sur les besoins, les usages de tous les publics, les potentiels, les possibles, les freins et comment les dépasser. Au regard de l'urgence climatique continuer à imaginer nos futurs lors d'une réunion publique descendante : l'élu, son estrade, la présentation à projet unique, face à une salle dégarnie n'est plus d'actualité.